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Le mariage : une utopie ?

Le mariage : une utopie ?

Conférence de Frère Joël, Moine du Bec Hellouin, mardi 28 mars 2006 à l’église Notre-Dame de Lourdes de Chaville

Nous accueillons au monastère du Bec Hellouin des gens qui sont mariés ou qui vont se marier ; Ils viennent exposer parfois leur fardeau lié à la conjugalité. Ce qui me paraît difficile dans le mariage, c’est le bonheur parfait. Le bonheur du couple est une donnée de base ; C’est la finalité du mariage car fondamentalement, le couple est fait pour le bonheur. Cependant, je constate que ce n’est pas évident. Alors, est-ce une utopie, un rêve, une irréalité ?

Le Seigneur Dieu vous aurait-il mis dans un piège dont vous ne pourriez sortir ou bien est-ce que ce bonheur est possible ?

Oui, ce bonheur est possible, parce que Dieu est fondamentalement bon et que au nom même de cette bonté, et dans cette bonté, il a créé l’homme et la femme.

Vous souvenez vous du chapitre 2 de la Genèse, où le Seigneur Dieu organise un défilé des animaux, couple par couple, pour que l’homme leur donne un nom, c’est-à-dire exerce une maîtrise sur les animaux et une fois que le dernier couple est passé, l’homme reste seul et le Seigneur Dieu dit : « il n’est pas bon que l’homme soit seul » ?

Que ce mot est exact ! Et donc il va créer la femme à partir d’un sommeil d’Adam et d’une opération chirurgicale, et le Seigneur Dieu va planter la femme devant l’homme (c’est la mot exact) ; Et l’homme a ce cri sauvage : « celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair », ce qui est mystérieux. Adam reconnaît dans la femme qui n’est pas encore nommée, un être qui, comme lui, vient de Dieu : ceci est extrêmement important, car c’est vers ce point focal qu’il faut ramener tous les couples qui connaissent des difficultés ; Adam a dit ainsi en substance : « Toi, femme, tu viens de Dieu comme moi. Moi, Adam, je sais que je viens de Dieu et par conséquent, toi, femme, tu as même père et même mère que moi. » Donc, tu viens de Dieu comme moi et tu vas à Dieu comme moi. Même origine, même finalité et c’est pour cela qu’il peut y avoir un langage entre l’homme et la femme, qui est toujours un langage d’amour.

C’est un langage par lequel ils peuvent se comprendre. Il n’y a pas de langage entre l’homme et l’animal ; Il y a un métalangage ; Tandis qu’il y a entre l’homme et la femme un langage d’amour par lequel ils peuvent se comprendre fondamentalement parce qu’il existe un principe transcendant ; Je sais d’où tu viens, tu as même père et même mère que moi.

Et là, la femme est créée dans l’altérité de l’homme ; Il ne s’agit pas de deux êtres qui sont confondus, fusionnels, mais de deux êtres qui sont autres, l’un par rapport à l’autre, c’est un vieux thème : ce n’est pas parce que l’autre est autre que moi, que je peux entrer en communication avec l’autre. Donc, dans le chapitre 2 de la Genèse, il y a cet état premier, plein de joie discrète, effacée, qui n’explose pas, et dans lequel l’homme et la femme sont autres l’un par rapport à l’autre ; ceci est important.

En deuxième partie, je voudrais vous parler de la prière conjugale. Je suis étonné de constater que la majeure partie des couples qui viennent me voir, sont des célibataires spirituels ; quand ils étaient célibataires, ils avaient un type de relation à Dieu ; quand on est célibataire, on va dans une église, une chapelle, et on prie seul à seul avec Dieu et c’est très bien, et je ne peux que vous y encourager. Mais quand on est marié, on est en lien avec l’autre ; quand on est marié, on a créé un être unique qui est le couple. Il est unique parce que lui est unique et elle est unique. Donc, il n’y a pas deux couples comme cela dans le monde. Alors, si « la prière est la respiration de l’âme », et si, d’autre part, par le sacrement du mariage, vous avez créé quelque chose d’unique qui est votre couple, alors, vous avez la charge, le devoir, de faire respirer votre couple et par conséquent de prier en couple.

Si je vous dis cela, c’est que je me rends compte de la difficulté de prier en couple parce que quand je prie en couple, je prie sous le regard de l’autre et quel est ce regard ? Eh bien, souvent, ça commence par un jugement ! Si je suis l’homme, l’époux, je connais parfaitement ce qu’elle va dire, je l’ai déjà entendu cent fois. Si je suis la femme, ce n’est pas compliqué, il dit quatre mots ; ce n’est pas fatigant ; comme cela, il peut prier des heures.

Il y a donc un jugement premier, qui, je crois, est inévitable ; mais à partir de là, il faut persévérer. Et dans la persévérance, il se produit une purification du regard et parfois, au bout de quelques mois ou de plusieurs années, si je suis l’homme, il est vrai que je sais très bien ce qu’elle va dire mais je pense « qu’est-ce que tu veux me dire à travers ce que tu me dis, toi qui est image de Dieu pour moi ; que veux-tu me dire aujourd’hui (car la prière est toujours pour le présent) ? Est-ce que ce que tu me dis aujourd’hui n’est pas ta manière à toi de dire des choses profondes et essentielles que, bien sûr, tu ne peux pas me dire dans le courant des jours ? »

Si je suis à la place d’elle, c’est vrai qu’au lieu de quatre mots, il en dit six ; il consent à ouvrir son cœur davantage et à travers ces six mots qui me viennent de Dieu, que veux-tu me dire ? Vous l’avez compris, on ne dit pas Dieu de la même façon quand on est homme et quand on est femme ; il est donc normal que, lorsqu’on n’a pas le même rapport à Dieu, qui est en fait le même rapport à nous même, nous nous adressions de manière différente à Lui.

A partir de ces différences ontologiques, à partir de ces différences spirituelles, il faut pouvoir s’enrichir de ce que dit l’autre, de ce qu’est l’autre et du message qu’il m’apporte. Si je me suis engagé dans le mariage, c’est bien pour que nous ne soyons pas deux célibataires l’un à côté de l’autre, mais que tu me dises ton amour et que je te dise mon amour au jour le jour, ce qui est normal. Donc, la prière en couple, c’est très délicat. Ce n’est pas uniquement d’aller à la messe le Dimanche, ce qui est une très bonne chose dont je ne peux pas vous dissuader à condition que, y allant, vous apportiez dans votre cœur ce que vous avez vécu en amour pendant la semaine passée afin que, unis à tous ceux qui sont là, faisant Église avec les fidèles présents, vous offriez ce que vous avez vécu tous ensemble dans une seule gerbe que le prêtre offre au Père. C’est le Christ qui s’offre au Père ; ce n’est pas un spectacle, c’est une offrande. Alors, si vous n’avez rien vécu dans le domaine de l’amour au cours de la semaine passée, ce n’est vraiment pas la peine d’aller à la messe...ce n’est pas un théâtre, un spectacle. On est partie prenante dans le sacrement de l’Eucharistie. Donc, aller à la messe est une très bonne chose, bien sûr, mais ce n’est pas suffisant.

Prier de chaque côté du lit, c’est une très bonne chose, mais est-ce suffisant ? Ce qui vous est demandé, c’est de prier en couple et de prier avec ses enfants, c’est une très bonne chose, mais est-ce suffisant ? D’ailleurs, les enfants sentent très bien lorsque les parents ne prient pas ensemble, donc je dirais que vous avez à prier en couple ; c’est une façon de situer votre couple dans une perspective d’offrande au Seigneur.

 

Qu’est ce que la prière ? C’est un dialogue d’amour, c’est la relation entre le couple que nous sommes et le Seigneur Dieu qui nous a créés ; nous sommes créés dans une sorte d’aller et retour. L’aller, c’est la création. Je suis créé dans l’amour ; le retour, c’est tout l’espace entre mon cœur, ou notre cœur, et le Cœur de Dieu. Et là, il y a la prière, les sacrements, l’histoire du salut, la théologie etc... ; il y a tout ce qui relie l’homme à Dieu. Religion vient de « re-ligare » ; la religion est un lien, non pas des observances ni des obligations ; c’est un lien vivant ; si ce lien n’est pas vivant, il faut revoir la question de la religion. Donc c’est le retour entre le couple que nous sommes et Dieu qui nous a fait couple, de toute éternité. Le dialogue d’amour, c’est ce retour, indispensable, pour que l’aller ait un sens, la création ; cet aller-retour marche éternellement.

Alors, ce dialogue d’amour, quel en est le contenu ?

Cela peut être des sentiments échangés ou alors une lecture de la Parole de Dieu. Dans la période actuelle, il existe deux traductions scientifiques de la Bible : la TOB et la Bible de Jérusalem et bien d’autres livres très intelligents qui font comprendre comment le texte écrit est évocateur de l’amour de Dieu. Le contenu de ce dialogue d’amour peut être la mémoire d’évènements passés, de personnes : tout cela concourt à l’ouverture de cœur vers le Cœur de Dieu ; le plus important étant moins ce que l’on dit que ce que l’on offre. Et dans la prière, il s’agit simplement de s’offrir tel que l’on est avec des cœurs qui souvent sont malmenés, blessés, éprouvés ; tous, nous avons à ouvrir nos cœurs vers le Cœur de Dieu ; le mouvement de l’offrande est absolument essentiel.

J’ai été souvent agacé, jusqu’à il y a peu de temps, par cette idée que toute prière est exaucée, et j’ai compris ! Oui, toute prière est exaucée, pas dans le sens que je veux, mais toute prière est exaucée dans ce sens que, dans ce mouvement d’offrande, le Seigneur me donne, en retour, son Cœur pour aimer, son regard pour regarder et son regard est éternel (il s’agit non seulement du passé et du présent mais de toute l’éternité) et sa main pour toucher, pour caresser ; je crois que nous avons besoin de ce Cœur de Dieu, de ce regard de Dieu, de cette main de Dieu pour vivre notre propre amour. Donc la prière est vraiment pour moi et pour vous absolument nécessaire ; ce n’est pas un luxe ni une activité, c’est une vie.

Vous savez, je suis moine du Bec Hellouin et je fais de temps en temps visiter l’abbaye qui est un monument historique ; les visiteurs ont dans la tête que les moines prient huit heures par jour, qu’ils travaillent huit heures et dorment huit heures. Quand on me dit : « Mon Père, combien de temps priez vous par jour ? », je prends alors un temps de silence et je réponds : « vingt quatre heures ».

« Mais comment faites-vous pour prier vingt quatre heures tous les jours, vous avez un truc ? »

Je prends encore un temps de silence et je dis : « et vous qui êtes mariés, combien de temps vous aimez-vous tous les jours ? »

La réponse est : vingt quatre heures ! La prière est de l’ordre de l’être comme l’amour ; on s’aime vingt quatre heures par jour, pas de la même façon à toute heure, mais cela est autre chose. Sur le fond, on s’aime au cours de la vie, vingt quatre heures par jour. Notre prière, c’est ainsi avec des temps forts, des temps liturgiques, avec des temps de prière personnelle, avec des temps de préparation d’homélie, etc.....Donc, notre prière, c’est notre vie mais votre vie est aussi une prière. La prière n’est pas une activité avant la journée ou après la journée ; c’est une passivité. Lorsque je prie, c’est Jésus Christ qui prie en moi le Père. Une de mes découvertes au Bec Hellouin a été la passivité dans la prière, ce qui m’ôte tout scrupule.

Donc, la prière conjugale, c’est ce qui occupe vos vies.

La prière est la raison d’être de mon entrée au Bec et je peux vous dire qu’après 38 ans de vie monastique, je suis toujours à la case départ ; donc, il faut éviter de se décourager ; il faut beaucoup d’humilité et regarder vers le Christ qui est vraiment l’humble serviteur de ses frères ; tout le reste, c’est par surcroît.

L’homme et la femme étant totalement différents, ontologiquement différents, ils vont rencontrer dans le développement des relations conjugales des périodes très contrastées ; périodes que j’appellerais des hauts et des bas, au plus simple.

Les « hauts », ce sont les périodes merveilleuses ; ce sont les périodes que connaissent, en principe, tous les fiancés et beaucoup de couples ; ce sont des périodes d’harmonie profonde où le dialogue conjugal demeure fourni et se déploie dans le sens de l’acceptation de la complémentarité et donc dans le sens du bonheur. Ces périodes de « hauts » sont extrêmement importantes et chaque couple doit en jouir intensément ; c’est un de mes dadas ; je trouve que les couples ne jouissent pas suffisamment. C’est étonnant mais c’est ainsi ; il s’agit, en effet, de jouir de l’instant présent. D’ailleurs, le message de l’évangile n’est pas autre que celui-ci ; du moins, c’est un des aspects de son message qui est toujours écrit au présent et pour le présent, et il est nécessaire que l’homme et la femme jouissent profondément bien sûr dans le respect de la personne humaine, bien sûr dans la mesure.

Je rencontre suffisamment de couples de fiancés qui me disent : ce n’est pas possible que nous soyons si heureux ; ça va nous tomber dessus, c’est évident ! On ne peut pas vivre une vie conjugale avec l’impression qu’une épée de Damoclès va vous tomber sur la tête ; c’est quelque chose d’angoissé qui n’est pas situé clairement et qui est à purifier, à clarifier. Donc ; les périodes de « hauts » sont riches et enrichissent la mémoire du couple ; chaque couple a une mémoire charnelle et sexuelle de ce qu’il est. Et cette mémoire est nécessaire parce qu’elle peut vous servir au moment de l’épreuve, au moment où tout s’effondre, au moment de la contrariété totale, au moment de la croix. Cette mémoire, vous l’utiliserez à ce moment là pour vous rappeler que, si aujourd’hui, tout semble perdu, hier, tout ne l’a pas été. Donc, période de « hauts » dont il faut profiter au maximum et sans complexe.

Les périodes de « creux », que les couples appellent improprement des « crises », sont des périodes plus difficiles évidemment à vivre ; elles sont absolument nécessaires. Dans une perspective de foi chrétienne, je pense que ce sont des appels de Dieu où le Seigneur Dieu appelle le couple à refaire une plus grande vérité sur lui-même. Qui est l’homme que tu es ? Qui est le père et l’époux que tu es ? Qui est la femme, l’épouse, la mère que tu es ? Qui est le couple que nous sommes aujourd’hui ? Parce que je crois que nous engageons un certain nombre de valeurs le jour du mariage que je synthétiserais en une seule, la fidélité conjugale et je crois que celle-ci n’est jamais à remettre en question (le valeur est pérenne) ; en revanche, la façon de la vivre à 25 ans, à 50 ans, à 80 ans, est totalement différente, ce qui est normal. Qui ai-je épousé ? Un être en évolution. Qui suis-je ? Un être en évolution. Donc, il est normal que la façon de vivre la fidélité à travers « l’épaisseur » de la vie soit différente à chaque âge ; et par conséquent, il est normal qu’il y ait des remises en questions encore une fois non pas des fondamentaux mais de la façon de les vivre. Moi-même qui vous parle, je ne vis pas aujourd’hui la vie monastique comme je l’ai vécue en 1972 quand je m’y suis engagé car depuis, depuis mes vœux solennels, j’ai vécu pas mal de tempêtes, tempêtes de communauté et des difficultés personnelles, ce qui est normal. Ainsi, dans la vie monastique, il y a des hauts et des bas ; les bas, ce sont des remises en questions, à la faveur d’évènements, à la faveur de personnes, à la faveur de blessures, de trahisons, etc....Ces périodes de « creux » sont des périodes de remise en question vigoureuses, décapantes, décalaminantes au maximum, mais au maximum nécessaires, il faut peut-être se faire aider, tenir sûrement. Il faut tenir et ce que je connais en tout cas me dit que l’on en sort toujours, et qu’on en sort vainqueur à condition que l’on ait eu le courage, la simplicité, l’humilité de faire une plus grande vérité sur le couple. Et on en ressort neuf, nouveau ; cela, je le constate fréquemment. Alors, il y a des hauts et des bas ; c’est très schématique bien entendu. La vie est ainsi faite...Elle n’est pas rectiligne comme l’imagine l’enfant qui ne se pose jamais aucun problème parce que papa et maman sont là derrière pour qu’il ne se pose pas de problème. Et il ne se rend pas compte de cela, et il est bon qu’il ne s’en rende pas compte. Mais la vie psychologique adulte est une vie avec des hauts et des bas, avec des célébrations, avec des mémoires, avec des avancées, avec des discordances, avec tout ce qui fait le quotidien de vos amours ; il ne faut pas oublier que vous êtes promis au bonheur, qu’un couple qui s’aime ou qui veut s’aimer est un couple qui se rencontre à l’essentiel et c’est un couple qui est obligatoirement heureux. Il n’y a pas moyen de faire autrement. Pour moi, le fondamental du couple, c’est véritablement le bonheur ; un couple n’est fait que pour le bonheur. Et d’ailleurs, si vous allez à la mairie, si vous passez devant monsieur le Curé le jour du mariage, on ne parle que du bonheur. Bien sûr, on se marie pour le meilleur et pour le pire mais le pire, on ne sait pas ce que c’est, et heureusement d’ailleurs ; eh bien, on passe !

Le couple est fondamentalement fait pour le bonheur ; c’est là que l’utopie revient : pourquoi y a t’il tant de couples malheureux ?

Dans les couples malheureux, il y a ceux qui divorcent, qui se séparent et qui font l’objet de statistiques, sur lesquels on focalise, à mon avis, un peu trop ; et puis il y a la masse beaucoup plus importante des couples mariés qui ne se séparent pas, qui ne divorcent pas mais qui souffrent du lien conjugal. Alors, ma question est : pourquoi ? Qu’est ce qui fait que, à un moment donné, dans une évolution ou dans une autre, on souffre du lien conjugal ; souvent d’ailleurs - et c’est la propre de la souffrance -, on s’isole, on ne veut pas en parler par pudeur. Et donc, on se croit seul à souffrir. La question demeure : quelle est la cause de cette souffrance ? Sachant que ce n’est quand même pas le vœu de Dieu. Eh bien, je crois qu’il y a au cœur de cette souffrance ce qui me paraît être l’acceptation de l’altérité de l’autre. Est-ce que j’accepte ou est-ce que je refuse que tu sois autre que moi ? Autre, c’est-à-dire totalement autre, ayant un autre cœur, une autre liberté, une autre sexualité, d’autres réactions devant les mêmes évènements, une autre intelligence, une autre mémoire, etc. Est-ce que j’accepte ou refuse que tu sois autre que moi ?

Cette question sous-tend toutes les relations humaines, parce que si je n’accepte pas que tu sois autre que moi, je ne peux pas entrer en relation avec toi (sauf, par parenthèse, dans le cas de l’homosexualité) ; si j’accepte que tu sois autre que moi, alors, nous pouvons entrer en relation l’un avec l’autre ; la relation conjugale est un cas particulier de toutes les relations humaines ; elle se caractérise par une différence sexuelle bien sûr et par un propos de distance zéro entre les cœurs : quand la relation est tendue, il est très difficile de prendre une distance l’un par rapport à l’autre parce qu’on ne peut pas objectiver ; on peut pas se situer objectivement par rapport à l’autre ; il est difficile de prendre ce mouvement de recul par rapport au conjoint et d’ailleurs tant le droit civil que le droit ecclésiastique ne s’y trompent pas ; il n’ont pas de grandes ressources sur la question pour relaxer le lien.

Donc je dirais que si j’accepte que tu sois autre que moi, il y a alors convergence ; ce qui ne veut pas dire que tous les deux doivent être d’accord totalement sur tous les plans. Mais il faut que j’accepte que tu sois autre que moi et donc que tu aies un autre point de vue que le mien ; là est l’enjeu ; et c’est l’altérité qui est la plus grande chance du couple et en même temps la croix du couple. L’altérité, c’est ce qui fait qu’un couple est heureux et qu’un couple est malheureux ; l’altérité acceptée rend forcément heureux et finalement développe les rencontres, les messages, le dialogue et l’ouverture du cœur au cœur et tous les fiancés le savent, une rencontre appelle une autre rencontre, etc. On se parle à mi-mots et on imagine que cela va durer comme cela toute la vie, et on le leur souhaite bien sûr.

Et puis, il y a des périodes plus difficiles où chacun est un peu centré sur soi, où à la limite, le mariage devient (mais c’est une caricature) une union de deux égoïsmes : je t’utilise pour moi, pour satisfaire mes besoins, mes appétits, mon instinct : c’est toi pour moi, voilà l’égoïsme parfait. Et le message chrétien exprime l’inverse de cette tendance : c’est moi pour toi. Tout ce que je vis, tout ce que je fais, tout ce que je vois, tout ce que je pense, tout ce que je gagne, c’est pour toi.

Donc je dirais qu’il y a un décentrement de moi vers toi dans le mariage sans lequel on réduit l’amour à une consolation. Ce décentrement, Saint Paul le cite en parlant de la vie chrétienne : passer de l’Eros à l’Agape. L’Eros, c’est le centrage sur moi et l’Agape, c’est moi pour toi. Là, il y a une espérance fantastique dans le couple car vous seuls pouvez réaliser ce décentrement ; seul, le couple peut le vivre. Nous n’avons pas les mêmes perspectives pour nous moines qui sommes plus axés sur la convivialité ; bien entendu, nous ne sommes pas dispensés du précepte de Saint Paul mais dans le couple, étant donné qu’il y a un enracinement sexuel, je dirais qu’il est beaucoup plus affectif, beaucoup plus fort, beaucoup plus prégnant de passer de l’Eros à l’Agape.

Le rayonnement d’un couple est lié à la capacité qu’il a de se rencontrer l’un l’autre à l’essentiel pour se dire son amour. L’attrait fondamental, je dirais charnel, du couple, fait qu’ils s’attirent l’un l’autre et s’attirant l’un l’autre, ils se disent le fondamental du mariage qui est le partage. Je vois pas mal de couples qui sont des célibataires cohabitants. Ils se disent colocataires, une formule extraordinaire ! Des célibataires cohabitants, ce n’est pas du tout le but du mariage, c’est tomber à côté de la plaque ; je ne vois pas très bien pourquoi se marier pour être célibataires cohabitants, ne serait-ce que sur le plan psychologique ; le mariage, c’est l’un dans le cœur de l’autre, donc on ne peut pas être séparés l’un de l’autre ; d’où cette nécessité qui engendre cette capacité de pouvoir se dire son amour au jour le jour d’une manière qui changera au fil du temps. Les couples heureux sont ceux qui se disent leur amour et les couples malheureux sont ceux qui ont peur l’un de l’autre parce qu’ils ne savent plus se dire leur amour, parce que nous retrouvons là l’opposition séculaire qui remonte à Adam et Eve, l’opposition entre l’homme et la femme. Hommes et femmes, nous portons tous en nous des peurs. Donc, l’union matrimoniale c’est l’union de deux êtres qui portent des peurs en eux ; alors comment faire ? : eh bien, une seule chose, nourrir le dialogue conjugal qu’on a promis le jour du mariage et l’un des effets, à mon avis, le premier effet du dialogue conjugal est d’exorciser les peurs. Les couples heureux ne sont pas des couples qui n’ont pas de peurs, qui n’ont pas de souffrances ou d’épreuves, ceci n’est pas vrai. Les couples heureux ont cela comme les autres mais je dirais que leur amour l’emporte ; leur expression d’amour demeure une priorité et par conséquent, ils vont emmener dans cette priorité qui les conduit vers le bonheur, toutes les difficultés qui sont les leurs et dont ils ne sont pas épargnés ; donc l’enjeu du mariage, et à tout âge, c’est véritablement le partage.

Vatican II a dit, dans l’encyclique Gaudium et Spes, que le mariage consiste à « se donner mutuellement ». Ils ne sont pas l’un à côté de l’autre, ils sont l’un en relation avec l’autre et le délicat, c’est évidemment la relation, la manière dont je m’investis, dont j’entre dans cette relation, ou au contraire dont je refuse cette relation : « Toi, tu es un homme, tu ne sauras jamais ce qu’est une femme... ».

Je dirais, ce qui fait le rayonnement d’un couple, c’est cette préoccupation permanente du dialogue conjugal. Je dis souvent à mes fiancés que la valeur première pour l’homme (et je dis cela en présence de la jeune fille), ce n’est pas le travail, ce ne sont pas les enfants, c’est l’épouse ; parce que l’époux est d’abord et avant tout l’époux de l’épouse. Il n’y a pas moyen de faire autrement, et de façon symétrique, je dis à l’épouse que la valeur première, ce ne sont pas les enfants, le travail, les engagements, c’est l’époux, car elle est avant tout l’épouse de l’époux.

Si vous voulez être heureux, vivez avec cette permanente obsession de la valeur première ; vous êtes l’époux de l’épouse et l’épouse de l’époux ; ceci ne signifie pas que la valeur seconde soit négligeable bien entendu, mais ce que je peux vous dire aussi, c’est que la seule difficulté, des couples en difficulté, que je rencontre au Bec Hellouin et sur Internet (parce que je suis répondant sur un site Internet qui s’intitule www.bonheur.couple.free.fr), c’est qu’ils prennent inconsciemment les valeurs secondes et qu’il les placent en valeur première et cela donne un homme qui s’investit à fond dans son travail, dans son entreprise et qui va se valoriser dans son travail, dans ses relations sociales, à l’extérieur, dans ses échelles de salaires, etc....et donc il va acquérir une grande compétence.

Et de l’autre côté, on aura une mère de famille en tous points exceptionnelle (parce que je crois que la femme est tout à fait adaptée à la fonction de mère en plus du rôle d’épouse) mais elle va se donner à fond à l’éducation de ses enfants et parfois trop, car le problème de la femme est qu’il n’y a pas de mesure dans le don d’elle-même : d’une part, elle a besoin de se donner parce que, dans le don d’elle-même, elle reçoit sa propre identité de femme, d’épouse, de mère et que, d’autre part, il n’y a pas de mesure c’est-à-dire que là où il faudrait qu’elle s’arrête, elle continue. A ce moment là, le meilleur peut devenir le pire.

Si la conjugalité n’est pas suffisamment forte, ils vont diverger tous les deux, l’un par rapport à l’autre et se replier sur des centres d’intérêt qui, au fond, n’ont rien à voir l’un avec l’autre : les enfants et le travail, cela n’a rien à voir fondamentalement.

Comment faire quand les choses vont mal ?

D’abord, les choses ne vont pas mal du jour au lendemain ; on ne divorce pas sur un coup de tête, cela n’existe pas. Le divorce, c’est la détérioration du lien conjugal qui arrive et à un niveau tel que la vie devient impossible ; à ce moment là, on casse le lien. Mais, avant d’en arriver à casser le lien, il existe bien des phases intermédiaires au cours desquelles on peut réagir, surtout au début ; je pense qu’il faut « crier son cri ». Je pense qu’il faut se faire aider ; ou bien on peut se réconcilier soi-même ; eh bien tant mieux, et c’est formidable ! Ou bien on ne peut plus se réconcilier, on se regarde en chiens de faïence, et je crois qu’il est urgent de faire appel à un tiers. Vous ne pouvez pas résoudre par vous-même votre problème à partir du moment où vous ne vous écoutez pas et donc vous ne vous comprenez pas. Il faut donc qu’il y ait un tiers. Il y a deux réactions mauvaises chez l’homme, celle de dire « il n’y a pas le feu, ça va s’arranger, c’est son caractère à elle » (je pense que son caractère ne va pas s’arranger) ; je pense que cette attitude est fausse ; il y a urgence parce que l’expérience prouve que lorsque les choses vont mal, elles vont de plus en plus mal, bien sûr. Il faut réagir tout de suite.

L’homme pense : « ce qui est entre nous deux ne concerne que nous deux », et il a tout à fait raison. (c’est ce qu’on appelle le « secret conjugal » et celui-ci ne se partage avec personne). Mais, si je suis malade, je dois aller voir un médecin parce que c’est légal et que c’est incontournable...il s’agit d’être nu devant le médecin et lui dire « aidez moi ». C’est un acte d’humilité, essentiel, sinon vous ne pourrez jamais guérir sans passer par la médiation d’un autre. 

Dans le cas du conflit conjugal, faire appel à un tiers, c’est lui « partager » le secret conjugal, c’est-à-dire l’appeler à cheminer avec la couple et l’homme répugne à cela. Il n’empêche que c’est la seule voie de salut ; cependant, le tiers ne doit pas être n’importe qui. Ce doit être quelqu’un (je préfère un célibataire plutôt qu’un autre couple car avec un autre couple il s’établit un jeu de complicités qui n’est pas simple) qui soit secret, amical, capable, une fois la confiance créée, d’ouvrir les portes des cœurs des deux partenaires pour parler l’un de l’autre, soit séparément, soit ensemble.

L’important étant moins le contenu de ce qui est dit que l’ouverture des cœurs. Quand le témoin a donné à l’un la possibilité d’ouvrir la porte de son cœur vers lui et qu’il a fait de même pour l’autre, les portes des deux cœurs sont alors ouvertes l’une vers l’autre. A partir de ce moment, la réconciliation du couple est alors possible ; Voilà l’expérience que j’ai faite.

Dire que tout va aller bien du jour au lendemain, c’est faux. Quand on a vécu pendant des dizaines d’années sur le mode de la blessure, du manque, du viol, etc...., on ne peut pas repartir du jour au lendemain parce qu’on voit quelqu’un. C’est un chemin de grande vérité et donc d’humilité ; Il faut venir voir et revoir ce « témoin », et c’est très difficile.

J’accompagne un couple qui revient et s’accroche et je suis content parce que je suis sûr que des résultats se produiront ; mais je mets la barre un peu haut ; cependant, le diable est là...Je suis entré pour le Bon Dieu au monastère, mais je rencontre le diable dans le couple ; dans le couple, le diable, c’est le mutisme. Le « témoin » est là pour libérer la parole. Dans la parole libérée, il y a en germe les solutions du couple. Je n’ai aucune solution à priori ; Mais c’est le « témoin » qui observe leurs expressions et ce sont eux-mêmes qui génèrent leurs propres solutions à leurs propres problèmes. Je crois qu’il y a un acte d’humilité, c’est vrai ; A la fiancée et devant son fiancé, je demande « est-ce que votre fiancé est humble ? » Elle ne s’est jamais posée cette question sans doute originale, mais importante ; Je crois que l’humilité, et en particulier l’humilité de l’homme est un gage de bonheur dans le couple. Regardez les couples heureux autour de vous...Il y a de grandes chances que l’homme soit humble.

 

Q1 : Comment concevoir le couple après la mort ?

Je crois savoir que Saint Paul a dit qu’il n’y a plus de femme ni d’homme après la mort ; le lien matrimonial existe tant que le couple chemine sur la terre. Nous serons jugés sur l’Amour et la façon dont nous l’aurons vécu sur la terre, le jugement n’étant pas une condamnation mais une révélation de ce que nous sommes. Notre vocation fondamentale sur la terre, c’est que nous soyons vraiment des êtres d’amour. Mais après la mort, je ne sais pas...mais je n’ai pas d’inquiétude pour vous, monsieur, ni pour moi !

 

Q2 : Est-ce que ce que vous avez dit du couple se vérifie au cours de la retraite ?

D’une manière générale, le couple, c’est l’union de deux libertés, c’est-à-dire que l’on peut tout faire et tout vivre dans le couple à condition, pour ce qui est essentiel, d’en référer à l’autre c’est-à-dire au conjoint.

Qu’il y ait une part de fusion, au début du mariage ou après, très bien, mais l’un et l’autre ne sont pas esclaves et sont libres l’un par rapport à l’autre et je dirais que la qualité, l’authenticité de la relation d’amour, c’est qu’elle libère l’autre dans son ordre propre ; c’est en fonction de cela que chacun vit sa vie ; mais on n’est pas à rendre compte de tout ce que l’on fait, à demander des permissions.

Alors, le problème de la retraite, c’est celui d’un autre rythme de vie ; on peut réaliser ce que l’on n’a pas pu faire dans la vie de travail ; c’est un autre rythme fondamental, mais cela ne met pas en cause ce que j’ai dit sur le couple, au contraire ; la retraite est un nouveau départ qui peut être très enrichissant. Il faut, de la retraite, faire quelque chose... et ne pas perdre de temps car le temps est le temps de Dieu, le temps de l’Amour.

 

Q3 : Le départ en retraite est difficile pour l’homme qui ne se sent plus nécessaire, n’est ce pas ?

C’est certain ; j’ai accueilli au Bec-Hellouin, un éminent cardiologue, très investi dans sa profession et qui même travaillait la nuit. Dès la retraite, il a fait un dépression...et a abouti en hôpital psychiatrique, d’où il me téléphonait...Tout ceci est dramatique ; mais je pense que là aussi, il y a la valeur première qui a manqué ; si celle-ci ne manque pas pendant la vie de travail, on récolte ce qu’on a semé ; s’il y a une vie de tendresse permanente au moment de la vie de travail, eh bien, les choses vont mieux au moment de la retraite ; c’est-à-dire que par la tendresse, on fait exister l’autre et on existe soi-même. Mais si ceci n’a pas existé pendant la période de la vie et de l’éducation des enfants, il y a un manque terrible ; à ce moment là, le passage à la retraite est difficile mais rien n’est perdu pour autant ; il faut qu’une prise de conscience se fasse et qu’un nouvel essor de l’amour surgisse....toujours possible.

 

Q4 : Faire appel à une tierce personne pour un couple en difficulté représente une difficulté pour le couple, n’est ce pas ?

Il n’y a pas moyen de faire autrement...Et cela demande un grand acte d’humilité.

 

Q5 : La grâce reçue dans le sacrement du mariage est toujours là et nous l’oublions, je reconnais l’avoir compris bien après mon mariage.

Je suis d’accord. La grâce du sacrement de mariage se renouvelle dans l’évolution de la relation conjugale. Elle est présence du Christ dans le couple, présence non pas euphorisante ; le Christ n’est pas un recours ; ce n’est pas une roue de secours ; le Christ est une présence rédemptrice ; il utilise chaque couple pour « œuvrer » sa propre rédemption. Alors je crois à la présence du Christ dans le sacrement du mariage et dans le couple et nous l’oublions ; cela est bien dommage ; car vraiment cela nous est rappelé chaque Dimanche dans l’Eucharistie et à l’occasion des retraites spirituelles qu’il est indispensable de faire et aussi dans votre participation aux mouvements d’Eglise (Equipes Notre-Dame, Association des Familles Catholique...). Ces retraites et ces mouvements d’Eglise réactualisent la grâce du sacrement de mariage dans le couple ; c’est pour cela que c’est très important...et on comprend cela longtemps après...Je connais des couples divorcés et des couples non mariés dans la Communion Notre-Dame de l’Alliance. Ce sont des chrétiens qui, à l’occasion du divorce, ont pris conscience des exigences du mariage et en particulier de la fidélité totale et absolue à l’époux ou à l’épouse dont ils sont divorcés ; L’alliance matrimoniale est unique et éternelle quoi qu’il arrive. Prendre conscience de tout cela permet de bien comprendre la grâce du sacrement de mariage.

 

Q6 : En quoi et pourquoi la crise au sein du couple est elle nécessaire ?

Elle est nécessaire parce qu’il y a un frottement nécessaire au niveau de l’altérité. C’est inévitable. En ce qui concerne le fait de la convivialité et de l’union, même si dans les hypothèses de départ, on admet ces différences, ces différences nous blessent profondément ; Il existe un au-delà de la blessure et c’est exactement le sens de la Pâque du Christ, le sens de la vie chrétienne qui est toujours dans toute situation de trouver ou de permettre un au-delà : « Va et ne pèche plus ». Donc je crois que la crise est nécessaire. Bien sûr, j’ai rencontré un couple dont la vie a été parfaitement lisse pendant quarante ans et, peu après, lui est parti avec sa secrétaire. Mais le problème est que pendant quarante ans, il n’y a eu aucune confrontation, aucune remise en question, donc je crois que la crise, en fait un appel à refaire la vérité, est absolument nécessaire.

Jean Paul II répondait à un couple : « Quand vous avez vingt cinq ans, vous ne pouvez pas vous marier avec la maturité d’un couple qui a vécu cinquante ans ensemble ». Donc, il sont à 25 ans, tous immatures et pleins d’illusion, et plus qu’ils ne le pensent. Alors, il existe des phases de désillusions et c’est là que le passage en creux est nécessaire pour que le couple se recadre sur la réalité et sur le présent. Une crise sérieuse peut n’être en rien libératoire. Le fruit de la crise sérieuse amène une plus grande qualité à travers une plus grande humilité et je pense qu’elle est libératoire car elle rend libre. Le fruit de l’amour, c’est la libération de l’autre ; je te libère dans ton ordre propre, dans ce que tu es, dans ce que tu veux, ce qui suppose une écoute du cœur profond de l’autre.

 

Q7 : Est il absolument nécessaire que le tiers soit une personne ?

Le tiers, ça peut être d’aller au cinéma ou de faire un petit voyage de noces...Si cela suffit, c’est bien ; vous pouvez allez voir un film et prolonger la discussion entre vous et cela peut parfois faire office de réconciliation. Mais la plupart du temps le tiers a une écoute et est capable de reformuler, dans son langage, la problématique : « Si j’ai bien compris, vous dites que... » et à ce moment, ça conforte, le tiers, mais surtout, ça permet à l’époux de comprendre comment « elle » peut être comprise. Le problème est celui de la compréhension mutuelle.

 

Q8 : Le risque n’est il pas de promouvoir des « super hommes » qui viennent au secours de leurs prochains ?

Non, pas du tout. Il y a des hommes au service des hommes. Le Christ, lavant les pieds de ses disciples n’est pas un « super homme », il est le fils de Dieu, se mettant au service de ses frères. Donc, c’est un service, un service d’accueil ; il s’agit non pas d’être des « super hommes », qui d’ailleurs, n’ont pas forcément toutes les compétences, mais il s’agit d’avoir une disponibilité essentielle ; il s’agit parfois de passer des heures à écouter les autres : le maximum que j’ai fait a été d’écouter une femme pendant six heures de suite avec un déjeuner en tête à tête ; à la fin, je l’avoue, je connaissais le dossier ! Cela suppose, bien sûr, un minimum de compétences qui peuvent s’acquérir sur le tas ou par des formations et je crois que tous les groupes charismatiques, par exemple, forment des accompagnateurs ; mais je ne crois pas qu’il y ait des « super hommes ».

 

Q9 : Notre société est pleine de sous-traitants dès que les choses se gâtent, n’est ce pas ?

Oui mais il y a un discernement. Il faut surtout que l’un et l’autre soient d’accord, c’est-à-dire que malgré les situations de blocages, d’incompréhensions, ils y croient encore. Je vois sur Internet, encore ce matin, un femme qui écrivait : « nous nous aimons encore mais... » et il y avait alors une tartine...J’ai repris la balle au bon en écrivant : « vous vous aimez encore, alors, on va tabler là-dessus et voir ce que je peux vous indiquer. »

Non, il y a peu de sous-traitants dans l’Eglise, malheureusement. Je crois qu’il existe quelques organismes. Mon rêve serait que, dans toutes les villes de France, de la même façon qu’il y a des bibliothèques municipales et une troupe scoute, il y ait partout un lieu d’Eglise où les couples puissent crier leur cri.

J’ai rencontré, autour de Bec-Hellouin, un gendarme qui me disait notamment : « nous sommes les gardiens de la paix ; on est appelé, de temps à autres, pour des scènes de ménages. « Nous, on représente la loi, et on arrive dans un milieu, en Normandie, assez imbibé d’alcool ; j’écoute trois quart d’heure, le ménage en difficulté et ça va mieux » ; alors, je lui réponds : « mais on fait le même boulot ! »

Dans l’Église, il faut que des chrétiens puissent aider d’autres chrétiens et je regrette que dans l’Eglise, il n’y ait pas assez de sous-traitants.

Je souhaiterais qu’il existe un numéro vert « SOS couples » ; je l’ai demandé à l’évêque mais cela exige, derrière ce numéro, du répondant, des compétences, des disponibilités.

Je suis sûr que si les couples en difficultés étaient écoutés, il y aurait 80% de divorces en moins.

 

Q10 : Pouvez vous nous parler du pardon dans le couple ? Est-ce une utopie ?

Je dis toujours une équation : 100% d’amour = 100% de tendresse + 100% de pardon.

Il n’y a pas de tendresse possible sans pardon parce qu’il y a des ambiguïtés foncières en chacun de nous. « Je te caresse, mais c’est pour moi » ; « je t’utilise pour moi » ; et le pardon s’origine à partir de cette ambiguïté, sur la prise de conscience de cette ambiguïté, et il nous permet d’aller au-delà de ce qui est difficile « va,s et ne pêche plus » ; ce qui suppose une vérité et de relativiser ; l’embêtant dans le couple c’est que tout est affectif : l’affectif ne permet pas le recul l’un par rapport à l’autre ; et en fait, le pardon dans le couple est une nécessité de nature, mais l’oubli est impossible. On ne peut pas oublier quand on a été blessé par son conjoint. Il ne faut pas se faire d’illusion sur cette question.

J’ai accueilli des filles qui ont été violée et même à 90 ans, elles ne peuvent pas oublier, mais cela ne les empêche pas d’aimer et d’avoir une vie sexuelle. Le temps atténue certaines aspérités de la mémoire et corrige certaines blessures. Mais en ce qui concerne le conjoint, cela me paraît difficile.

Le pardon est la preuve que le Christ est là dans le couple ; le pardon fait partie intégrante de la grâce du sacrement de mariage. Sans lui, on avance sur des illusions jusqu’au jour ou ça ne marche plus, parce que le problème est d’accorder son cœur au cœur de l’autre et ceci est délicat ; c’est l’affaire de tous les jours ; ce n’est jamais donné ; ce n’est jamais évident. Si dans votre couple, cela vous parait évident, alors faites attention : il y a quelque chose que vous n’avez pas vu. Cette mise à niveau, l’un de l’autre, ce n’est jamais évident.

Je dis que la première partie de la vie, de la naissance au choix amoureux, juste avant les fiançailles, c’est assez évident (on est typé homme et typé femme) ; à partir du moment où l’on se choisit l’un l’autre pour la vie entière et ce jusqu’à la mort, on quitte définitivement le domaine de l’évidence et on rentre à tout jamais dans le domaine de l’apprentissage. Un homme précis entre en relation avec une femme précise (vous savez ce qu’est un homme et une femme et il y a 150 livres sur la question) mais vous ne savez pas qu’elle est la relation entre lui et elle ; unique et unique ; donc il y a une mise à niveau, un apprentissage en permanence et il est normal que dans cette phase, il y ait des ratés, des erreurs, que tout ne se fasse pas instantanément, souvent en raison de leur rythme différent ; tout ceci exige une infinie patience et beaucoup de pardon.

 

Q11 : La spiritualité bénédictine a inspiré largement le modèle de la famille, dit-on ?

Oui, ça c’est à propos de l’Europe. Saint Benoît a vécu au 6ème siècle et il a généré un type d’hommes caractérisés par la maxime « ora et labora » (prie et travaille). Il alliait la prière et le travail chez les moines ; il n’y a pas chez eux la prière ou uniquement le travail. Nous pourrions apprendre cette maxime « ora et labora » au monde d’aujourd’hui, si toutefois il écoutait les moines. Chez Saint Benoît, il y a une vie commune ou vie de convivialité entre hommes, de natures, d’âges, de capacités, d’éducation, de quotient intellectuel, différents. Donc, ces hommes sont appelés par le Christ et cela est infiniment respectable, à vivre dans un espace, dans un environnement, une vie de contemplation et de louange de Dieu orientée vers le Christ malgré toutes leurs différences qui souvent sont peu aisées à supporter.

Saint Benoît dit que cette dimension de transcendance est possible et si Paul VI a décrété que Saint Benoît serait le patron de l’Europe, ce n’est pas parce que ce dernier a décidé de fonder les monastères en espérant que ça marcherait, c’est parce qu’il a généré avec les moines un type de famille où il y a une convivialité possible, des générations différentes vivantes dans un même lieu (jusque dans les années 1950) ; on trouve, à l’intérieur de la famille, une transmission et des valeurs, ce qui demeure fondamental. Elle s’enracine dans la relation entre le moine et le Père Abbé ; le Père Abbé lit dans le cœur du moine la volonté du Christ. Or cela a déteint et a formé le type de famille qu’on a connu encore il y a 50 ans ; les valeurs familiales et religieuses se transmettaient de génération en génération ; ceci est un fruit bénédictin ; mais ceci est moins vrai aujourd’hui (familles éclatées, recomposées).

 

Q12 : Vous pouvez donner des conseils par Internet, n’est ce pas ?

Il y a un site sur lequel je suis répondant : www.bonheur.couple.free.fr

C’est un site sur le couple et le mariage ; les couples en difficultés peuvent poser des questions de manière anonyme. Je ne sais même pas si c’est un homme ou une femme qui pose la question ; je sais en gros le pays d’où provient la question ; des questions proviennent en effet de tous les pays francophones (Canada, Algérie, Afrique Noire...). Il y a entre 150 et 200 questions posées par an, parfois sur l’homosexualité, sur l’adultère, etc....

Aux questions anonymes qui me sont posées, je réponds effectivement selon un schéma, un peu toujours le même :

1) Qu’est ce que vous devez souffrir : c’est la ministère de la compassion

2) Si j’ai bien compris, vous dites que..., c’est la reformulation par moi de ce que j’ai compris devant une situation toujours compliquée.

3) Vous dites que vous êtes malheureux (ou malheureuse), aujourd’hui, mais vous vivez ensemble depuis x années ; vous n’avez donc pas toujours été malheureux (se) ; vous avez connu des moments de bonheur. Et puis, quelles sont les raisons que vous avez eu de vous choisir au point de départ ?...

4) Il y a peut-être telle ou telle piste à envisager : rupture d’avec votre compagnon, partage du pardon et de la tendresse...

5) Allez y, rien n’est perdu !

Monsieur Bizot-Espiard indique que frère Joël a publié un livre intitulé « Cœur à cœur » dans la collection des Cahiers de l’Ecole Cathédrale ; il est épuisé mais sera réédité prochainement.

Il ajoute qu’il y a donc au Bec Hellouin, un moine capable d’accompagner des couples quels que soient leurs âges : frère Joël !


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